mercredi 14 octobre 2015

Swarm Intelligence - Rust

J'ai songé plusieurs fois à ce moment où je retournais à la publication. J'ai failli sauter le pas lors de la sortie du Occult Rock d'Aluk todolo tellement ce disque m'avait chamboulé. Puis j'ai perdu l'envie de balancer mes élucubrations personnelles sur un blog. Pourtant les découvertes étaient toujours là et ma soif d'archivage aussi. Je continuai ainsi à rédiger des petits paragraphes sur ce que j'achetais. Des petits paragraphes à l'usage de moi même.
Ça m'a au final manqué. Ce bon vieux BTN tout épuré, sa collection d'articles allant du moins bon au carrément infect. Ce bon vieux Damo aussi. BTN était notre bébé, et je signe ici un retour aux affaires.
Quoi de plus représentatif pour cela que d'inaugurer le tout par une nouveauté ad noiseam. Ad noiseam, label qui fait chasse gardée sur l'électronique moderne et avant gardiste depuis son trône de Berlin nous a sorti de l'excellent, mais aussi des galettes sans identité. Le cru de cette fin d'année 2015 est pourtant plutôt bon.
Rust rend un hommage poignant à toute une frange de la musique industrielle. Electronic deluxe, bass music lancinante, fields recordings apocalyptiques, Rust est un peu le disque que Carter tutti auraient voulu sortir cette année. Comprenez, un amas de beats grésillants, souvent lents, accolés à des ambiances qu' Inade dernière époque n'aurait pas reniées. Un peu comme si Boards of Canada avait arrêté les documentaires animaliers et les ambiances paysagistes pour des reportages de fin du monde dans des contrées désertiques.
Swarm intelligence montre l'étendue de ses influences en livrant un récital aux allures d'hommage aux machines et aux structures du son. Rust, malgré la diversité de ses ambiances reste un tout assez monolithique, quoi qu'au final trop rapide. De la dope pour les fans d'under the skin qui restent ouvert aux déferlements organiques de la machine.

mardi 30 décembre 2014

Top 2014

Bon, contrairement à ce qu'on pourrait penser en venant jeter un oeil ici, c'est pas mort. Enfin l'activité l'est, mais l'esprit non. 2015 sera-t-elle l'année d'un retour à un certain rythme de publication ? Nous n'en savons rien. Nous l'espérons. Eh oui.

A défaut d'avoir été productif (rien depuis cet été, une belle performance, tout de même !) il est quand même possible de consulter le top 2014 (musique) chez les cousins de Pelecanus auquel j'ai participé (et ce pour la 3ème fois).

Dans le tas, il y a des disques qui finiront forcément par faire l'objet d'une chronique ici, car 2014 a été riche en disques importants.

C'est à lire ici :

Top 14 BTN/DMDFC pour Pelecanus.



lundi 25 août 2014

PORTISHEAD & PRODIGY - Rock En Seine

Les articles ici sont de plus en plus rares, et à vrai dire, tu en as probablement marre de toujours lire des trucs sur Prodigy. Surtout que tu n'aimes pas ce groupe - et même si il est de bon ton de ne pas aimer le trio anglais, ils sont toujours accueillis avec ferveur depuis ces 5 dernières années. Faisons vite : ils ont de toute façon tout dévasté, toujours aussi efficace et leur déco avec le jet en fond de scène devient une menace parfaitement calé avec le son,  terrifiant et archi belliqueux.

Portishead n'avait rejoué qu'une fois à Paris (pour deux soirs consécutifs ceci dit) depuis leur grand retour en 2008, dans un zénith en pâmoison. Moins de jeunes, plus de quadras dans le parc lorsque le groupe de Portishead se pointe, tout le monde retient son souffle et applaudit le groupe. J'avais eu beaucoup de mal a rentrer dans leur concert au zénith, mais là ça fonctionne mieux, même si le fait que tout le monde acclame l'entrée de Beth Gibbons me refroidit. Si j'admire le groupe et le son qu'il développe, je suis totalement hermétique à ce chant hyper maniéré, à cette gestuelle timide et cette implication type acteur studio que je trouve fausse. Mais surtout, ce qui me surprendra ce soir, c'est que si Portishead n'est pas un groupe "technique", il enchainera les pains et les erreurs de manière remarquable. La fin de "Silence", premier morceau du dernier album qui se caractérise par sa conclusion abrupte ? Chiée. Le ton est donné. Des sorties foireuses, il y en aura d'autres, et des intros bancales également. Festival. Pourtant tout le monde trouve que le concert est impeccable à en croire les échos presse ce matin. Etrange.

Sinon, outre les gloires des 90's électroniques, Rock En Seine demeure un festival toujours aussi drôle (dans le mauvais sens du terme) : la bouffe y est extrêmement cher, le village de disquaires est ridicule (tout le monde a choisi de foutre des bacs pleins de disques de groupes jouant ces 3 jours, autant dire qu'un seul stand aurait suffit; sans parler d'un stand disquaire day pour tenter de refourguer toutes ces réeds bancales non écoulées en avril dernier), le fest est toujours infesté de stands inutiles (levi's n'est plus là mais haribo demeure... mystère), la gestion des chiottes est scandaleuse (puisque innaccessible pour mesdames), la distance entre la grande scène et le public est risible et il y a tellement de monde désormais qu'il est quasi impossible de circuler entre les scènes - oui, dans les "allées" ! Certes, l'orga doit être contente, elle est passée de 22 000 spectateurs à 120 000 en 11 ans... Bref, une colo de vacance nommé "festival".

lundi 7 juillet 2014

NAS / M.I.A. - Zénith, Paris Hip Hop 2014.

J'ai hésité suffisamment longtemps avant de prendre ma place pour cette soirée pour rater les places en fosse. J'ai un mal fou à "rentrer" dans un concert assis. Alors c'est quasi à contre-coeur que j'ai pris des places gradins, en me disant que j'allais peut-être rater un grand concert. J'avais tort. Je n'aurais pas rater un grand concert, j'aurais rater une leçon. Et c'est tellement rare que finalement, peu importe les gradins ou la fosse. Et tant pis pour les photos de merde.

Il y a très nettement deux types de personnes formant le public ce soir : les fans de MIA et les fans de Nas. Au milieu, quelques glands qui comme moi apprécient les deux. MIA a enregistrer il y a presque 10 ans un album de dance qui aujourd'hui garde un charme fou, et est capable de pondre encore aujourd'hui de bons morceaux. A vrai dire, c'est une fois sur deux, puisque j'avais aimé également son troisième enregistrement. De Nas, je suis très client du premier album, mais le reste ne m'intéresse que très peu, même si je suis assez preneur du dernier en date, qui pose quelques morceaux vraiment bien gaulés et accrocheurs. Jamais vu ni l'un ni l'autre, le festival hip hop de Paris propose de rattraper en une fois ce double manque.

Les fans de M.I.A. en premier donc. Pas difficile à identifier, ils sont légèrement plus jeunes que les autres, et plus colorés aussi. A l'image de leur reine, qui se pointe en salopette orange avec de grosses lunettes. Derrière, un seul DJ (je pensais que Partysquad était un duo), une danseuse, une choriste/danseuse et un danseur avec une vraie putain de tête d'Anglais en guise d'accompagnement. Tout MIA se retrouve sur scène : couleurs, visuels kitsch et épileptique, tendance au fluo, des beats bourrins et des riffs mauvais goûts, des danses minables et hystériques, la scène est la continuité des pochettes, véritables gouffre pour le crâne vers des migraines interminables. Mais ça fonctionne pas mal -même si les fans de Nas ont l'air dépités par le spectacle. L'énergie de l'ex belle-fille de Monsieur Warner est efficace. Poses à la con, caillera en pixel, beats mongoloïdes, voix épuisantes, la mixture Angleterre profonde/Tamoul vénère dégage une rage joyeuse plutôt appréciable. Entrée sur l'excellent Bucky Done Gun tiré de son tout premier album et clôturant sur son Bad Girls en passant par son récent Double Bubble Trouble ou son acclamé Paper Plane (qui ne fonctionne pas si bien en live), le show est solide. MIA montre aussi son rattachement au hip hop pur et dur, alors que bêtement, j'ai toujours considéré ça comme de la pop ou de l'électronique : le fait est que la dame est une piètre chanteuse. Souvent fausse, elle est juste à côté - pas loin - de ses notes sur ses lignes de chant. Non pas que le hip hop inclut forcément un chant médiocre, c'est juste que son registre est celui de la scansion. Rapide et concis, quasi sans pause, on regrettera juste que le troisième album soit écarté (j'aurais aimé Born Free ou même XXXO) au profit de son dernier album, pas terrible. Mais surtout, l'orga a visiblement considéré que MIA n'était finalement qu'une simple première partie et non pas une co-tête d'affiche au vu du volume sonore absolument ridicule délivré. Ou sont les basses ? Tout ça devrait ramoner le bas ventre !! Rien. Pas de son. Enfin pas à la hauteur du truc qui semble se passer sur scène.

Après une installation/mise au point un peu longue de presque 45 minutes, le beat de "Genesis" résonne dans le Zénith. Après le son crevette de MIA, c'est un son colossal qui frappe le lieu. Et "Genesis" n'est qu'une mise en bouche. Nas ce soir joue "Illmatic", son mythique et indépassable premier album qui fête cette année ses 20 ans. "NY State Of Mind" (changé dans le texte en "Paris State of mind") qui prend la suite voit Nas se pointer, fougueux, sur une scène gigantesque qu'il sera seul à habiter ce soir. Son DJ est derrière et ne fera que quelques appels vocaux mais se concentrera sur son taff de turntablist. La scène me fait étrangement penser à celle de Tool, avec ses écrans sous l'estrade, un autre de 2 mètres de haut derrière puis un tout en hauteur. Manque les lasers. Et encore, les lights de devant font l'affaire.  Et cette entrée permet de faire le point : le son est magnifique, précis, la voix se détache bien mais ne domine pas les impeccables instrus de Premier, de Large Pro, de Q Tip (entre autres). Les samples de jazz, chauds, préparés avec minutie il y a deux décades prennent une dimension remarquable dans le Zénith. Les pianos sont présents et magnifiques, par exemple, pas étouffé par les coup de batterie. Les basses sont imposantes et se faufilent dans la salle, inondant l'audience. Les beats sont totalement magnifiés par l'importance du volume. Les kicks sont de mini séismes secouant la salle, tandis que les caisses claires sont de superbes coups de fouet précis. Encore.

Le DJ pour reproduire Illmatic va,  en plus de quelques scratchs très old school type "copeaux sur le vinyle", à quelques reprises passer en intro les samples originaux ayant servis à dessiner les classiques formant le mythique album, le produit fini. Comme sur "One Love" ou ce vibraphone prend une autre vie. Ou comme sur "It ain't hard to tell" qui reprend "Human Nature" de Michael Jackson. Malgré ses excellentes et judicieuse digressions, le set va pourtant être extrêmement concis. Surtout qu'Illmatic est un album court. 39 minutes. Et Nas, imposant, coupe ses morceaux et les laisse à leur strict essentiel. "Life's a bitch" est résumé à un couplet. Autant dire que la demi heure passe, vite, bien trop vite vu la qualité. Et Nas de stopper et de signaler que le concert ne peut pas rester aussi court : c'est parti pour 45 minutes de plus, allant piocher sur toutes les périodes cette fois. Un peu de "Life Is Good" sur la fin, et un "If I Ruled The World", entre autre classiques, qui rend la salle hystérique.

Nas organise son set comme Autechre : les morceaux sont dépouillés, minimaux, et s'enchainent rapidement. Très peu de temps morts sur ces 1h15 de concert. Et Nasir Jones d'occuper royalement l'espace. Seul en scène, il domine complètement l'espace. Prestance remarquable, son flow ne faiblit jamais (même si une paire de prompteurs est là pour le soutien) et même seul, il électrise totalement la salle. Pas de compère mais ce minimalisme le rend d'autant plus fort. L'ambiance dans l'antre est folle. Tout le public est hyper réactif à chaque nouveau morceau, même les gorilles dansent (je crois que je n'ai jamais vu ça avant). Le roi Nas qui souffre de sa malédiction de premier album est un showman extraordinaire d'un charisme certain et d'une approche de la scène sobre et tout en puissance. Dominant le vaste Zénith, il impressionne. Un magnifique leçon, une superbe prestation.

A la sortie du concert, j'entends un groupe de 4 filles d'à peu près 25 ans qui s'extasient devant les vidéos de leur téléphone "elle est trop belle"; "elle fait trop pas son âge"; "elle a l'air trop sympa, elle a fait trop des sourires tout le temps"... Elles ne devaient pas parler de Nas.

mardi 1 juillet 2014

GODFLESH - Decline & Fall

Putain. Ils l'ont fait. Ils sont revenus. Et en forme. Godflesh était resté comme mort suite au départ de Ben Green. Techniquement, Broadrick avait maintenu le projet en vie mais sans envie, avec une tournée de trop, de ses propres dires. La pierre tombale se nommait Hymns et était peut-être le moins bon Godflesh. Quoique. Hâtivement jugé, l'album a bien mieux vieilli que d'autres disques de la même époque, qui eux étaient célébrés et qu'on se repasse honteusement désormais. Hymns, a de réelles qualités. Et sa récente réédition lui fait largement honneur. Et pour cause : les démos de l'album sont incroyablement bonnes; addictives.

Suite à cette disparition, Broadrick fit un dernier tour avec Martin (Curse of the Golden Vampire, un album passionnant et d'une brutalité rare), avant de lancer Jesu, puis de réactiver Final, puis d'introduire Greymachine ou White Static Demon. Avec un parcours sans faute de 85 jusqu'à 2005, le bonhomme était arrivé à un point où sa musique était devenue sévèrement chiante. Jesu ne passionne que très moyennement, depuis un deuxième album qui indiquait très clairement le déclin. Puis vint la double surprise. Une reformation de Godflesh, avec le retour de Green, jusque là porté disparu. Un concert parisien mit les choses au claire: d'une puissance dévastatrice, Godflesh est un monstre. Et un album de J.K. Flesh au charisme indéniable.

Il a fallu attendre encore 2 bonnes années pour entendre quoi que ce soit de nouveau de la part du duo, mais le résultat est là. Minimal. Minimal dans son visuel,  gris, dégueu, imprécis, aux mentions simples. Comme à l'époque. Minimal dans sa typo : exactement la même qu'au tout début. Minimal dans sa composition : Green à la basse, Broadrick aux cordes (guitares/vocales) et la machine. Pas d'invité, pas de batteur, pas de deuxième guitariste, pas de producteur. Et de la haine. En masse. En parpaing de 20. Epaisse. Crade. Rythme tendu, guitare qui plombe et basse qui tabasse le museau, Godflesh marque tous les points dès sa première mesure. Le duo est massif, vil. Si le second morceau est moins surprenant, les deux suivants, formant la face B, poussent le niveau de brutalité d'un cran. La BaR imite la double et le rendu se mèle aux voix désincarnées et dégradés, aux riffs dissonants et inondant l'oreille, aux lignes de basse si imposante que le sol même semble réagir aux impacts. Le spectre sonore est complètement renversé par ces 4 titres trop courts, d'une méchanceté qu'on ne pensait pas retrouver avec autant de joie. 20 minutes d'un bonheur qu'on imaginait disparu.

dimanche 1 juin 2014

MELT BANANA & DALIDA - Pantin

Finalement, Melt Banana a décidé de laisser tomber la recherche de batteur, quête permanente chez eux puisque Spinal Tap doit faire office de blague en comparaison du nombre de mecs ayant effectivement tenu les Baguettes pour les Japonais. Cette décision s'accompagne du départ de la bassiste, pourtant fidèle au poste depuis les débuts du groupe. Bon, le tremblement de terre de mars 2011 semble avoir eu des effets sur le groupe, puisqu'expliquant aussi le temps qui sépare les deux derniers enregistrements du groupe.
MxBx est donc désormais un duo, au bord du split il y a 4 ans si j'ai bien suivi, et qui a décidé de continuer l'aventure, finalement, se rapprochant de la formule Melt Banana Lite. Sauf que maintenant le guitariste fou ne fait pas que du bruit mais joue sur des bandes. Et comme on pouvait s'en douter, le groupe a choisi de rendre compliqué quelque chose qui aurait pu être extrêmement simple. Plutôt de que balancer la basse et la boite à rythme dans une sono, le duo a décider que chaque élément serait représenté de manière classique, ayant chacun son propre ampli/sono. En gros, comme un groupe classique, Melt Banana fait un soundcheck complet, et comme un groupe complet, le duo se trimballe tout le matos d'un quatuor-dont un ampli basse plus haut que la chanteuse et 5 baffles pour la batterie. C'est un choix. Et Melt Banana, qu'on a régulièrement taxé de groupe intelligent ici le prouve encore une fois : plutôt que de laisser les bandes dicter les compositions, chaque morceaux est séquencé en plusieurs parties, déclenché par une sorte de game boy que Yako utilise à volonté. Pour faire simple, le groupe déclenche la batterie comme un véritable batteur, pouvant ainsi jouer de longs espace de guitares sans être contraint à devoir tenir le métronome d'une boite à rythme, rendant le set extrêmement dynamique et vivant. Et en duo, le groupe ? Et bien même si l'énergie a forcément perdu en intensité, les deux artisans japonais restant s'efforcent à rendre le groupe toujours aussi puissant et intéressant. Mieux encore, ce jap-core (les nouvelles technologies à leur service renforçant leur côté "nippon"), s'appuyant sur des sons extérieurs à l'habituel configuration basse/batterie/guitare (comme si la guitare était jusque là "limitée") est désormais capable d'improbables moments chaotiques, où le son devient suffisament dense pour que l'absence de 2 autres larrons dans la bande ne manque finalement qu'assez peu.

En première partie, Dalida, comme revenue d'entre les morts, a mis une bonne mornifle à tous ceux qui ignoraient leur existence. Trio noise de l'extrême, Dalida a joué 3 mesures différentes pendant une demi heure intense et remarquable. Sorte de Cows pété-je ne sais pas pourquoi je pense à ça- croisé à un Shit And Shine le groupe s'est appliqué à maintenir un rythme soutenu sur des riffs de guitares dissonnants et créant une sorte d'hystérie extatique sur sa répétitivité. Obsédant, franchement bien.

mercredi 28 mai 2014

Caricaturistes, fantassins de la démocratie de Stéphanie Valloatto

Il y a quelque chose de profondément emmerdant dans le documentaire de Valloatto, produit par Radu Mihaileanu (Va, vis et deviens). Caricaturistes propose douze portraits de caricaturistes qui, à travers le monde, lutte contre les systèmes, dénoncent, s'indignent, font rire, au risque d'y perdre leur droit à travailler, au risque d'y perdre leur vie. Le postulat du film est le suivant : tous ces caricaturistes sont à l'avant garde des combats démocratiques en cela qu'ils représentent les premières lignes de la liberté d'expression. Toucher aux caricaturistes, c'est toucher aux libertés fondamentales, c'est toucher au bon fonctionnement de la démocratie dont ils sont les pourfendeurs. 

Le film propose donc des portraits intéressants d'hommes et de femmes qui dessinent dans des contextes politiques instables et dangereux. La réalisatrice a la bonne idée de ne jamais sortir ces "fantassins" des conjonctures qui en ont fait, tantôt de petits héros nationaux, tantôt des victimes des institutions répressives. Elle mêle de courtes mais efficaces recontextualisations qui permettent de saisir les enjeux de la caricature dans le temps et dans le moment où elle est produite, mais pas à tous les endroits, effaçant parfois les complexités politiques et sociales. C'est le cas par exemple du Venezuela, réduit à un Etat dictatorial, sans nuance, mais aussi du Mexique, dont la situation politique et les circonstances de la migration du caricaturiste cubain sont complètement éludées, ou bien encore de la Chine, dont le contexte autoritaire est très étrangement lissé.

On le voit, la démarche est d'internationaliser les problématiques relatives à la liberté d'expression : en choisissant des caricaturistes du monde entier, le film tente d'échapper à l'écueil ethnocentriste, donnant la parole à des dessinateurs africains, sud-américains et asiatiques. Mais l'appareil est étrangement homogène. Tous défendent la liberté d'expression, bien évidemment, mais en faire pour autant des "fantassins" de la démocratie me semble être un raccourci rapide, tout comme il y a raccourci à sous-tendre que la démocratie est, de fait, un régime progressiste (puisque défendue par une avant-garde présupposée progressiste).

Cette homogénéité de valeurs efface considérablement l'importance des orientations politiques de chacun. Tous cachés derrière un esprit "droit de l'hommiste", rien ne les distingue véritablement dans l'orientation qu'ils peuvent avoir. Or, on en conviendra, un caricaturiste qui oeuvre pour Rivarol ou dans Signal d'Alarme et un caricaturiste de Charlie Hebdo ou de l'Humanité, n'ont assurément pas la même définition de ce que doit être la démocratie et n'ont pas le même usage non plus de la liberté d'expression. Loin de moi l'idée de dire qu'il n'y a pas d'égalité dans cet usage, mais cette posture englobante dissimule mal le fait que, malgré tout, l'on peut-être caricaturiste sans pour autant être démocrate, et que l'on peut-être également caricaturiste sans être progressiste. Chard n'est pas Plantu, et vice et versa. 

C'est là le deuxième biais du film : la démocratie - dont on ne sait jamais vraiment ce qu'elle signifie ici pour eux, si ce n'est qu'elle est garante de la liberté d'expression... et c'est tout - serait un système politique par essence progressiste. Or, au delà de l'obscurité qui entoure ce terme, on peut difficilement voir, dans les exemples récents, une corrélation indéniable entre démocratie et progrès. Pour rappel, les élections législatives qui suivent mai 1968 sont remportées par le Général de Gaulle. Une victoire de l'ordre sur la "chienlit". De même, les élections démocratiques qui ont suivi la révolution tunisienne ont consacré le parti Ennahdha, l'élection égyptienne de ce weekend va voir la victoire d'un général à la tête de l'armée, les élections européennes ont vu la poussée de partis néonazis, en Allemagne (un eurodéputé), en Hongrie (le Jobbik) ou en Grèce (Aube Dorée). On aurait plutôt tendance à croire Badiou lorsqu'il affirme que la démocratie (représentative) est réactionnaire... 

Le triptyque caricature-démocratie-progrès est donc fortement discutable et l'absence de nuance politique, de débat véritable au sein même du film, est gênant. Au lieu de soulever de véritables problématiques, qu'elles soient politiques ou éthiques, le film cherche un consensus qui est déjà installé de façon pérenne. Comme lorsque les dessinateurs ivoiriens et burkinabés discutent ensemble, l'un affirmant à l'autre qu'il ne pouvait pas publier une caricature représentant très clairement un pénis et des testicules. Jamais on ne demande pourquoi, jamais on ne questionne les interdits et les raisons de ces interdits. 

Malgré toute la sympathie qu'il peut nous inspirer, en se bornant à décrire l'héroïsme de ses protagonistes, en noyant leur partis pris politiques ou intellectuels dans un "nous sommes là pour faire rire" qui refuse toute profondeur, Caricaturistes déçoit et ne vend finalement que ce qu'il pouvait faire de pire : un film consensuel sur l'importance de la liberté d'expression, applaudi en salle parce que politiquement indigent. 

lundi 14 avril 2014

SONIC PROTEST - TERMINAL CHEESECAKE

Ca fait 10 piges que le festival Sonic Protest empile affiches de qualité, c'est pourtant la première fois que je me décide enfin à prendre mon billet. Il y a du en avoir, des grands moments dans l'histoire de ce festival, mais le line up cette année est tout de même effrayant : des mecs de Sonic Youth séparés, Merzbow... et Terminal Cheesecake. Bien entendu, parce que je suis un connard, je me pointe assez tardivement et mon copilote de la soirée me fait remarquer que nous avons raté Action Beat, probablement pas le truc le plus pourri sur scène. Les échos concernant Selvhenter sont plutôt positifs aussi. On arrive pendant le set de The Rebel, soit le projet solo du mec de Country Teasers pour une sorte de mélange country/blues et qui cause de trucs qui mettraient mal à l'aise les plus sains d'esprits-tu m'as compris. Tout seul avec une guitare au son impressionnant, un clavier qui fera bien 6 notes, et une cravate acheté dans la journée, The Rebel produit un truc qui a du charme mais avec lequel je rentre difficilement en connexion. Probablement plus cool à saisir quand tu as révisé ton harap's, mais à part des évidences comme "whore" ou "dick", je suis inapte à saisir ce qu'il baragouine. L'humour va jusqu'au stand merch: puisque le type n'a rien à vendre, il a collé la set list du soir sur des posters hologramme moches à base de chiots et de dauphins. Une bonne idée, tiens.
Le Cercle des Mallissimalistes (!) prend place derrière, accompagné de Xavier Quérel aux images,  pour ce qui sera la bonne surprise de la soirée. Avec ce "je ne sais quoi" très français, un peu baroque et indescriptible LCDM (re-!) me fait songer à un Hint en big band ou un Picore dénudé de son hip hop. Un rock cyclique et progressif, avec des accents électroniques à la Trans Am hyper bien gaulé, au groove imperturbable, aux claviers larges et aux riffs malins le groupe se paye un artisan de l'image de grande qualité en guise d'accompagnement. Plutôt que de diffuser des images bidons genre "je découvre Herzog j'en carre partout", le type joue avec la lumière et les bandes comme autant d'instruments visuels et mouvants, évitant la facilité et multipliant les trouvailles efficaces, se balladant dans le public et au milieu du groupe pour projeter la lumière ou brulant du film devant d'énormes loupes. Le groupe arrive au bout de sa cavalcade sous les applaudissements largement mérités. La semaine dernière je me fadais BOSSK en première partie d'Old Man Gloom, voilà que Le Cercle Des Mallissimalistes me prouve qu'on peut encore faire des choses simples et efficaces sans être vulgaires.
Terminal Cheesecake est un groupe assez peu connu et pourtant quasi légendaire. Reformé l'an dernier avec un line up reprenant moults membre d'origine, TC est une entité emblématique de l'Angleterre des années 90. Audacieux,  ambitieux, n'ayant pas eu peur de faire des mélanges improbables, Terminal Cheesecake se place quelque part entre Pop Will Eat Itself, God/Ice, Butthole Surfers et même Primal Scream. Un truc barré et capable de mixer aussi bien des éléments dub et noise, rock et électronique. A sa tête, Russell Smith, associé à M.A.R.R.S et A.R.Kane (les premiers étant les géniteurs de "Pump Up The Volume") qui monta avec Gary Boniface et Gordon Watson le groupe à la fin des années 80. Après 2 albums, TC se retrouve sur Pathological, l'excellent défunt label de Kevin Martin (qui signa également 16-17, Techno Animal, Oxbow, Brotzmann, Zeni geva...) avec qui ils publieront d'ailleurs un split (God/TC). Après l'arrêt des frais en 95, Smith jouera dans Skullflower et God, tandis que les autres membres auront experimenté dans d'autres groupes plus discrets. Le groupe se reforme l'an dernier avec Smith et Watson, aidé de John Jobbagy à la batterie (batteur originel passé par Ice), Dave Cochrane (God, Ice, The Bug, Greymachine, Jesu, Transitional, Head Of David... soit l'ensemble des groupes les plus importants que l'Angleterre ait pondu ou presque depuis 3 décades) à la basse et le chanteur de Gnod (combo dans la veine de Shit & Shine) pour remplacer Boniface. A ce stade, tu as lu une suite de nom qui ne t'évoques pas grand chose, peut-être, alors je n'épiloguerai pas 10 plombes: Terminal Cheesecake, après une intro hypnotique est parti comme un tank sur le public, puissant, où tout les musiciens, bien calés ensemble, on administré une torgnole sévère. La formule du groupe, soit cette noise psyché lourde et massive, s'est magnifiquement mise en forme dans le hangar de la parole errante à Montreuil pour une transe de bruit impérial. Jobbagy est un batteur incroyable, extrêmement puissant avec une frappe jazz déroutante, tandis que Cochrane a apposé ses épaisses lignes de basses boueuses comme un goudron malsain, portant ainsi les guitares du duo Watson/Smith, entre riff massif pour faire chouiner doomsters sensibles et plan tout en wah, galactique, loin. Neil de Gnod prend son rôle très à coeur et saute comme une grenouille anoréxique toute la durée du show, devant le reste du groupe jouant en formation serrée. Show court mais maitrisé, Terminal Chesecake a prouvé en une heure qu'on peut être et avoir été, en pliant bien des groupes réputés inaptes à créer réellement quoi que ce soit de pertinent aujourd'hui. Sévère.

mardi 8 avril 2014

PANSONIC - Oksastus

Si la carrière de Pansonic s'est soldée par un crash royal symbolisant, visiblement, une mésentente solide entre les deux protagonistes, elle s'est également imposée sous le signe d'un album d'adieu parfait et d'une tournée de fin de vie magnifique. Quoi de plus logique, finalement, que de faire act de cet élan finale qu'un album live, retraçant les derniers moments de vie du duo avant l'explosion programmée.
D'ailleurs, vu que de musique dites "électronique" nous parlons, il serait presque logique de faire un parallèle avec la programmation. Mais au bout de ces 4 faces que constituent ce magnifique double LP (avec typo vernies du plus bel effet emballant deux vinyles blancs) c'est la science et l'intelligence de Pansonic que l'on célèbre. De programmation il n'y a pas vraiment. Dirons nous qu'il s'agit d'un squelette rythmique, d'une boite à rythme monomaniaque. Mais sur le rythme ne s'appose jamais le moindre "riff" ou la moindre séquence mélodique. Sur le beat reste le bruit, lâché comme un chien fou, mordant l'oreille pour ne la rendre qu'une fois saignante. Mâchée avec vigueur et haine, recrachée avec mépris. Les machines de Pansonic ne sont que des instruments mises en vie sur scène. Les sons se déploient, comme de longs larsens, de longs plans gluants, sans structure. Le duo articulaient le son comme il venait et jouait à le dompter au mieux pour le rendre envahissant. De structure il ne semble plus y avoir, mais juste un socle et une éternelle soif de moduler le son, le transformer directement, et utilisant les osccilateurs et réverbérations, les effets et dégradations comme autant d'outil sculptant la musique même et non plus la nature seule du son. Un concept arrivant pourtant à l'impression de finir sur une expérience finie, globale et totale. Dans un dernier souffle discographique (à ce jour), Pansonic émet un dernier râle qui impose le respect.

lundi 7 avril 2014

Leçons d'harmonie de Emir Baigazin

Des herbes folles, d'un vert incroyable. Au fond du plan un arbre gigantesque mais lointain. Un jeune garçon entre dans le champ par la gauche et déambule lentement dans ce champ de verdure quasi paradisiaque. Titre. Ce même garçon course un mouton en souriant. La caméra est posée dans la cour, face à une vieille bâtisse recouverte de neige. Le garçon et le mouton sortent du champ. On entend leur course heurtée sur le sol gelé. Puis l'adolescent revient en tirant la bête par les pattes. Il l'attache et sa grand-mère lui apporte une bassine. Le jeune homme égorge alors le mouton et le laisse se vider de son sang. L'animal est accroché à une branche. Dépeçage, éviscération. 

Aslan est un jeune garçon mutique de 13 ans. Renfermé, solitaire, il n'a pas vraiment d'amis à l'école et encaisse, comme les autres, la loi de Bolat et de son gang. Lors d'une visite médicale, Aslan va subir une humiliation ultime : tous les garçons doivent baisser leur pantalon pour que le médecin inspecte leurs parties génitales. Mais cela se fait en présence d'une infirmière dont la beauté émeut les jeunes adolescents. Pour faire retomber l'excitation, ils trempent leur verge dans un verre d'eau froide. Alors que le tour d'Aslan vient, Bolat lui dit que s'il a besoin de débander, il peut boire le verre d'eau médicamentée. Une fois dans la pièce, Aslan se jette sur le verre et le boit d'une traite. L'infirmière esquisse un léger sourire. De l'autre côté de la porte, ses camarades sont hilares. Ce verre, ils y ont tous trempé leur sexe... Aslan sort, droit, silencieux, accablé. Au milieu de la foule, Bolat le désigne et l'ostracise, interdisant à quiconque de lui adresser la parole. 

D'emblée, Emir Baigazin trace les contours sombres d'une relation de l'homme à ses semblables et à l'animalité, baignée de frustration et de violence. Leçons d'harmonie est un premier film exaltant, d'une beauté froide construite autour de plans fixes très structurés, qui jouent tantôt sur l'enfermement des personnages en rétrécissant le champ de vision du spectateur (l'action se déroulant au second plan, entre deux murs par exemple) et sur les ouvertures, souvent associées aux escapades oniriques d'Aslan, ou aux extérieurs (le magnifique plan du garçon devant la fenêtre d'une maison en ruine, ouvrant sur l'infini des steppes). Voilà où sont les quelques résidus de beauté d'une terre inconnue, un Kazakhstan dont on ignore tout ou que l'on ne connait que par les délires mégalo de son président-dictateur, Noursoultan Nazarbaïev. Mais ce sublime ne surgit que par de très rares bribes, car dans le théâtre scolaire se joue l'entièreté d'une pièce qui raconte le Kazakhstan contemporain. 


La métaphore animale de Baigazin fait écho à celle initiée par Jia Zhang-Ke dans son récent Touch of Sin. A l'image de ce qu'a pu faire le réalisateur chinois, Baigazin transforme les animaux en miroir de notre condition humaine et en souffre-douleur sur lesquels nous transférons la violence que la société nous inflige. Le film s'ouvre sur la mise à mort ritualisée du mouton, à laquelle Aslan semble prendre un certain plaisir. Le moment où il course la bête est le seul sourire qu'il décroche du film ! Mais la mort du mouton intervient à un moment où nous ne savons encore rien du jeune homme. Elle prend une valeur presque documentaire, racontant bien plus les conditions de vie dans les steppes kazakhs que la psychologie de ce jeune garçon qui tue, certes avec facilité, mais à des fins nutritives. 

Aslan est obsédé par la propreté. Il se lave plusieurs fois par jour, mange du dentifrice, regarde des reportages sanitaires à la télé. Il ne supporte pas la présence des cafards chez lui. Il les capture, monte différents stratagèmes afin de les tuer ou de les torturer. Son obsession vire à la psychopathie lorsqu'il fabrique une chaise électrique adaptée aux insectes et sur laquelle il leur inflige différentes tortures. Aslan réalise sur ces petits animaux ses fantasmes de vengeance à l'encontre de Bolat et sa bande. Le gamin est bizuté, humilié et racketté, à l'instar de ses camarades. Or l'injustice de cette situation et la chape de violence qui plane sur l'école le remplissent d'une haine qu'il est incapable d'expulser autrement qu'à l'encontre des cafards. Autre animal ô combien symbolique : si le mouton est depuis longtemps l'animal qui caractérise le suiviste, celui qui se laisse faire, qui subit sans rien dire, le cafards lui, est bien l'animal nuisible par excellence. Or on l'a vu au début du film, Aslan a tué la victime qu'il y a en lui. Il ne se laissera pas faire et les cafards qui pullulent dans son école en payeront le prix à un moment où à un autre. 

C'est là qu'Aslan devient lézard. Dans les dunes, il capture un beau reptile qu'il met dans un bocal et qu'il emporte avec lui à l'école. Lorsqu'il reste seul dans le collège après les cours, il semble vouer une admiration ou plutôt, une fascination certaine pour l'animal qu'il contemple. Aslan en capture d'autres, qu'il va nourrir avec les cafards qu'il attrape par dizaines. Le garçon va se venger, lui, et son seul ami, Mirsain, tout juste arrivé de la ville. Mirsain ne veut pas se soumettre au diktat de Bolat et le défie ouvertement. Seulement, avec l'aide de sa bande, ils lui mettent une belle race... Mirsain tente lui aussi d'échapper à la confrontation directe, mais d'une autre façon qu'Aslan. Il parle avec nostalgie de cette salle d'arcades de la ville où il se réfugiait quand ça n'allait pas, de ce paradis artificiel, de cet exutoire où la violence n'est pas réelle, où elle ne blesse pas. 

Cette accumulation de vexation et de violence aboutira au meurtre de Bolat, puis à une enquête policière et à l'arrestation des deux garçons. Mais aucun ne livrera la vérité sur ce qui s'est passé. Mirsain mourra en prison, on ne sait véritablement comment, et Aslan sera relâché. Baigazin introduit alors un plan subtile et définitif sur le sort des lézards. Pendant l'absence d'Aslan, personne ne les a nourris. Ils se sont entredévorés. Aslan est ce dernier lézards, celui qui a dévoré les autres pour survivre. Celui qui a débarrassé le collège d'un cafard (sitôt remplacé par un autre), et qui a dévoré son seul compagnon en cellule dans ultime spasme sec, froid, cannibale. 


Leçons d'harmonie est une sorte de guide de survie dans un territoire hostile qui n'est pas réductible à l'échelle du collège, mais qui peut se lire à celle du Kazakhstan, du monde peut-être. En racontant cette terrifiante histoire, Baigazin raconte aussi l'échec de la révolte qui s'achève en prison, puis à l'hôpital. A ce titre, son film fait peut-être écho aux révoltes qui ont traversé le pays en 2011, surgissantes puis disparaissantes, sans héritage et sans lendemain. C'est un petit précis de politique : le jeune Bolat, le caïd du collège n'est qu'un pantin entre les mains de deux jumeaux plus âgés. A la suite de la mort de Bolat, le réseau de racket qu'ils avaient mis en place est démantelé, les jumeaux arrêtés. On pourrait croire que la vie de l'établissement va pouvoir reprendre, mais cet espoir meurt dans l'instant. Un nouveau réseau se met en place et le racketteur banni au début du film (un religieux qui récolte de l'argent pour les "frères en prison") s'installe et prend possession du territoire. Voilà à quoi ressemble les révolutions contemporaines. Il n'y a qu'à voir l'Ukraine à l'époque de la Révolution Orange par exemple. Les révoltes sont sans lendemain, sans projet. Pour Baigazin, il n'y a eu ici qu'un déferlement de haine, de frustration cathartique. L'assassinat de Bolat est un acte isolé et solitaire. Il touche au coeur du système, mais pas à sa tête. Et surtout, les moutons eux, sont toujours là et se soumettent, sans rien dire, à leur nouveau despote. 

Aslan est de nouveau seul, seul avec le souvenir de ces deux garçons qui auraient pu ne jamais mourir, qui auraient pu être des amis (comme dans cette séquence à la salle d'arcades où Aslan rêve de les voir jouer l'un en face de l'autre). Le film se clôt dans un élan de poésie magnifique, un peu comme il s'est ouvert. L'adolescent est recroquevillé au bord d'un lac, vêtu d'un slip de bain. Il se dresse et, sur l'autre rive, il voit Bolat et Mirsain qui lui font signe et qui l'invitent à les rejoindre. Alors, un milieu de ce Styx, passe, dans une délicatesse folle, un ange. Il n'a pas la forme d'un ange, non, mais il en a toute la force symbolique. Le cycle se ferme, l'oeuvre également. Leçons d'harmonie est riche de son témoignage, de sa radicalité, de sa beauté plastique, de son contenu âpre, du Kazakhstan qu'il raconte. J'aurais pu parler, des paragraphes durant, de l'attirance qu'Aslan ressent pour la belle Akhzan, jeune musulmane voilée dans une école et dans un pays qui donnent de plus en plus de place et de pouvoir aux femmes, de la dénonciation de la torture institutionnalisée dans la police et dont les deux gamins sont victimes, de ce flic qui était prof d'histoire avant de frapper des gosses dans une geôle sordide... Mais j'en ai déjà trop dit, et tant que Leçon d'harmonie est en salle, il vaut mieux encore le voir. 

vendredi 4 avril 2014

La Crème de la crème de Kim Chapiron


Au sortir de La Crème de la crème, on peut se demander ce qui meut véritablement le cinéma de Kim Chapiron. On reconnaîtra à son cinéma d'être traversé de bonnes intentions, bien souvent galvaudées par une absence de perspective globale. Sheitan par exemple. De prime abord, Chapiron semble vouloir renverser un rapport de force : celui établi entre français issus de l'immigration et français dits "de souche". Ses personnages principaux, enfants d'immigrés, banlieusards dont les hexis et les habitus laissent transparaître leur appartenance à des franges culturelles minoritaires et dépréciées mais aussi leur relégation sociale, sont propulsés hors de leur territoire. Leurs codes et leurs modes de représentation sont alors remis en cause par la confrontation directe et violente avec une France rurale qui leur est étrangère (renversement du rapport : ce ne sont plus eux les étrangers, mais ce sont bien ces "souchiens" pour reprendre le terme de Houria Bouteldja). Seulement, pas avare de schématisme, Chapiron heurtait cette jeunesse doublement délocalisée (déracinement culturel, d'abord, et déracinement géographique puisqu'ils sont envoyés hors du ghetto où ils sont habituellement enfermés - Chapiron aurait-il lu les travaux de l'école de Chicago ?) à une meute triviale, aliénée, consanguine et débilitante, métaphore peu subtile d'une France profonde post-2002 qui refuse la mixité, vit dans le mysticisme et engendre des monstres. En cela, Sheitan était tout aussi manichéen que le(s) Frontière(s) de Xavier Gens, qui entretenait les mêmes fantasmes et la même opposition symbolique entre gens de la ville et gens de la campagne, entre ouverture multiculturelle et renfermement eugéniste. 

Le sociologue Chapiron a cette fois dû se tourner vers les succès de librairie des Pinçon-Charlot, grands spécialistes des riches et de leurs modes de vie, et a choisi de plonger dans l'univers des grandes-écoles parisiennes. Kelliah, Louis et Dan sont trois étudiants de l'une des plus grandes écoles de commerce. Ils vont monter un réseau de prostitution plutôt luxueux au sein de celle-ci en déclinant les préceptes économiques de l'offre et de la demande, ceux-la mêmes qu'on leur enseigne dans l'établissement.

Le pitch est ouvertement provocateur et aurait pu servir de base intéressante à une analyse profonde et systémique des logiques économiques qui régissent globalement le monde dans lequel nous vivons. Mais la déclinaison qu'en fait Chapiron à une échelle microéconomique est horriblement scolaire et ferait presque mourir d'ennui un étudiant de terminale ES... Grossièrement, Chapiron travaille plus sur les modèles de reproduction que sur le modèle économique, et il se place à deux échelles, la reproduction sociale à l'intérieur de l'établissement, et la reproduction économique simpliste, orientée autour des rapports de domination de classe et de genre. 

Qui sont nos trois protagonistes ? On se croirait revenu à la Révolution française... Louis, c'est l'aristocrate, le "fils de", héritier d'un domaine, Versaillais de naissance comme de principes, arrogant, discourtois, misogyne, élégant. Dan, c'est le bourgeois, le fils de nouveau riche ou plutôt du "riche" qui a mérité de l'être parce qu'il a gagné sa situation (son père va recevoir la Légion d'honneur et il hésite à la prendre). Il est très porté sur le blé, il connaît les rouages de l'économie comme personne. Il n'a pas la prestance ni la légitimité de Louis mais il cherche à faire ses preuves. Kelliah, c'est l'intruse, l'énigme. La fille de prolo arrivée là parce que la République égalitaire et méritocratique récompense quelques pauvres pour avoir bien copié les valeurs des puissants et pour éviter que le système de reproduction sociale en place ne paraisse inique auprès de ceux qui sont en bas de l'échelle (et qui y resteront toute leur vie).  

Au sein de son microcosme d'école, Chapiron redessine les divisions de classes et la reproduction des barrières sociales : Kelliah est une première année. Autant dire que, malgré son Master d'économie (!!), elle ignore tout du fonctionnement du monde. Toutefois, elle est habitée de cette étrange mélancolie nihiliste du pauvre, ce jemenfoutisme qui la transforme en louve, en rapace plus rapace encore que les maîtres à qui elle se lie. Dan est complexé par son illégitimité : aux yeux des aristocrates comme Louis, tous beaux et tous membres de clubs où ils peuvent baiser comme bon leur semble, Dan est un parvenu, un "prolétaire qui a réussi". Son physique ingrat, matérialise sa relégation dans les sous-couches de la hiérarchie : il est un dominé parmi les dominants et doit faire ses preuves. Louis quant à lui, détient déjà toutes les clefs du système. Il est né avec tous les capitaux bourdieusiens entre les dents. 

Et on voit bien ce qui va lier ces trois lascars : la croyance du pauvre qu'en se faisant passer pour plus vorace que le maître, il va réussir à en déjouer le système (alors qu'elle coulera, comme les autres, et certainement plus bas encore) ; l'avidité du parvenu et son envie irrémédiable de surmonter son complexe d'infériorité (baiser, baiser, baiser, baiser) en faisant montre d'un talent de gestion, de marchand, d'économiste hors paire ; l'opportunisme du "déjà riche", voyant là une chance (une de plus) d'être encore plus riche qu'il ne l'est déjà. Alors ces trois-là montent leur affaire et vont monnayer les charmes de jeunes femmes.

Soyons fun, soyons des escort girls. Le propos est trouble autour de la question soulevée ici. Ces trois jeunes gens vont aller chercher de jolies filles dans des situations difficiles ou quelconques (l'une vend des parfums, l'autre distribue des journaux, une autre encore remplit des rayons de Supermarché...) et leur proposer de dépasser leur complexe de classe : mesdemoiselles, vous êtes belles et votre beauté à une valeur marchande, tout comme votre sexe et ce que vous êtes capables d'en faire. Chapiron met en exergue l'absence effarante de sentiments dans cette démarche : tout se monnaie, tout est économiquement viable. Pire, notre trio semble ignorer la possibilité de l'émergence du sentiment amoureux. Plus encore, lorsqu'il surgit, il pense pouvoir le monnayer à son tour. L'échec est sublime, d'autant plus sublime que l'amour est là mais qu'ils sont incapables de le toucher. Car incapable de l'appréhender et d'en comprendre les implications. L'amour, c'est une "frayeur" comme ils disent. 

Terrifiant. Ces jeunes riches de Chapiron vivent dans une pornocratie globalisée qu'ils entretiennent avec un mépris fun et engageant. Ils ne font pas que reproduire leurs caractéristiques de classe, ils les déploient encore et encore jusqu'au sabordement, ignorant toute mise en garde, se repaissant de leur toute puissance, un peu comme des traiders de Wall Street d'avant crise (c'était quand déjà ?). Seulement, comme dans le monde de la finance, leur petit jeu va s'effondrer et la sanction sera sans appel. Et Chapiron, dans un élan surprenant de romantisme ou de lucidité, je ne sais pas, fait rejaillir clairement le seul acte positif et expiatoire au moment de leur mise à mort : un langoureux baiser entre Kelliah et Louis, qui lie à la fois les classes et fait la nique aux juges. 

Espoir ou dernier bras d'honneur ? C'est un peu une sacralisation stupéfiante d'un "no futur" faussement punk qui semble en réalité vous dire : "peu importe que nous soyons punis, nous recommencerons car nous sommes unis". Mais recommencer à faire quoi ? A niquer le système ? Non, pas du tout. A l'amplifier, à le reproduire mais en pire, à le défigurer encore et encore pour qu'il explose toujours plus fort. Toute la fumisterie du film de Chapiron tient en une phrase tenue lors de la présentation du film : ceci n'est pas un pamphlet contre les écoles de commerce. Ah bon ? Mais alors, qu'est-ce que t'as voulu raconter copain, que les jeunes fils à papa se branlaient aussi sur Chatroulette et qu'ils écoutaient aussi Justice ou The Shoes ? Qu'ils étaient tellement précoces qu'ils montaient déjà des réseaux de prostitution à l'école et qu'ils en avaient rien à foutre de se faire gronder par le dirlo ? Les garnements... Chapiron refuse simplement d'avoir un point de vue politique sur ce qu'il présente. Absence de vision, absence de perspective, encore une fois : la dimension politique de ce qui aurait pu être un film démonstratif, certes, mais ravageur, est sacrifiée sur l'orée du "fun à tout prix", des bons mots, des cocasseries. Alors pourquoi tu fais des films ? Pour faire réfléchir les gens ? Mais à quoi, si toi même tu refuses de prendre position et de défendre ce qu'il y a dans ton film ? Il n'y a rien de pire, lors d'une présentation, qu'un cinéaste qui n'a rien à dire sur ce qu'il a fait. Peut-être parce qu'il n'a pas réfléchi à ce qu'il faisait. Chapiron s'est voulu Fincher, il s'est fait Costa-Gavras : son Social Network ressemble au Capital,  sa crème à du beurre. 

vendredi 14 mars 2014

The Canyons de Paul Schrader

The Canyons s'ouvre sur une succession de plans fixes sur des cinémas défraîchis, vides, délabrés, abandonnés. Paul Schrader va droit au but : dans ce Los Angeles où le soleil n'a jamais paru aussi froid, l'ancien scénariste de Taxi Driver annonce vertement la mort de l'industrie cinématographique qu'il a vu naître dans les années 60 et 70. Schrader fait partie de cette génération dorée du Nouvel Hollywood, avec les Scorsese, Spielberg, Lucas et autre Coppola. Une génération qui a bouleversé les codes esthétiques et les modes de production américains, profitant, d'une part, de l'influence des cinématographies européennes sur une industrie à bout de souffle, qui devait alors composer avec la tyrannique télévision, et d'autre part, avec l'abolition du code Hayes, manifeste de la censure mis en place par les majors dans les années 30. Il collabore ici avec un des papes de la littérature de la fin des années 80 et du début des années 90, Bret Easton Ellis, auteur de Moins que zéro, d'American Psycho, ou des Lois de l'attraction

Dans une cité des Anges glaciale, déambulent de patibulaires figures inanimées, décadentes et ennuyées. Ellis recycle la bonne vieille rengaine du trio amoureux : Ryan (Nolan Funk), jeune barman qui se rêve acteur, est retombé amoureux de son ex, Tara (Lindsay Lohan), en couple avec un fils à papa qui s'improvise producteur de cinéma, Christian (James Deen). Seulement Christian, libertin quand ça l'arrange, doute de la fidélité de Tara... 

On fait difficilement plus classique, plus épuré, plus canonique. Mais il y a ici, de la part de Schrader comme d'Ellis, une volonté de revenir à une simplicité de récit qui permette de détacher le regard du spectateur des habituels enjeux spectaculaires ou narratifs, pour les tourner vers d'autres possibilités interprétatives. Les lectures de The Canyons sont multiples et s'éloignent de la simple historiette d'amour bafoué. 

Schrader prend comme point de départ la mort d'un cinéma historique, celui des salles de cinéma. Ces salles éventrées, sans spectateur, sont le constat non pas que le cinéma n'est plus fédérateur autour de lui, mais qu'il peut exister par lui-même, en dehors du dispositif cinématographique, qu'il s'agisse de la caméra de cinéma (remplacée ici par le téléphone portable de Christian qui filme ses ébats sexuels et qui parle de "mes films") ou de la salle de projection (le générique d'ouverture), et qu'il peut même exister sans spectateurs. La réflexion que mène Schrader est alors que le cinéma, parce qu'il n'est plus techniquement circonscrit géographiquement et techniquement, fait de nos vies des films entiers, fait de nous des acteurs en permanence. Le cinéma s'immisce partout, jusque dans nos relations intimes, jusque dans l'outrance des réactions que nous pouvons avoir face à nos déceptions amoureuses (d'où la dimension particulièrement dramatique du crime final commis par Christian). 

De fait, puisque le cinéma se dématérialise et sort de son cadre de projection habituel, puisqu'il est partout et, de fait, nulle part, comment et pourquoi continuer à faire des films "traditionnels" ? Schrader, qui, avec The Canyons a expérimenté (apparemment non sans douleur) le financement participatif, emboite ici le pas de deux de ses confrères du Nouvel Hollywood, Spielberg et Lucas qui, il y a quelques mois, émettaient de sérieux doutes sur les modes de production hollywoodiens et sur l'avenir de l'industrie cinématographiques californiennes, condamnant la trop forte concentration des blockbusters, l'absence de diversité et de prise de risque des majors et l'explosion des budgets. Schrader et Ellis y voient là le travail d'individus que le cinéma, en tant qu'art et même en temps que produit de consommation, n'intéresse pas vraiment. Comme à l'accoutumée chez Ellis, l'intrigue prend place dans un milieu artistique plutôt bourgeois, où les figures parentales brillent par une absence-présence extrêmement trouble (celle du père de Christian, riche magnat dont on ignore tout si ce n'est qu'il donne à son fils les moyens de vivre dans l'oisiveté totale tout en l'obligeant à voir un psy), où l'argent coule à flot et l'ennui règne en maître.

Ils initient une dualité forte entre les quatre personnages principaux (la quatrième étant Gina, la petite amie de Ryan). Ryan, est un jeune garçon qui rêverait d'être acteur mais qui doit se contenter d'être barmaid et de résister aux avances d'un patron un peu folle. Il a été engagé pour jouer dans un film d'horreur produit par Christian, et dont la production est sous la direction de Tara et Gina. Lorsque Ryan est engagé, son ex, Tara, se retire du projet, troublée. La première rencontre entre les quatre individus intervient au tout début du film, dans la séquence du restaurant : Gina et Ryan font part de leur enthousiasme tandis que Christian et Tara sont sur leur portable, occupés pour le premier à trouver un plan cul, pour le seconde à écrire à ses amies. Au delà de la simple (pas si simple d'ailleurs) opposition entre un couple d'apparence uni, traditionnel et visiblement heureux et un couple à problème, c'est bien une vision plus large du cinéma que Schrader propose : ceux qui détiennent les ficelles de la production cinématographiques ne le font pas par amour du cinéma, ne le font pas parce qu'ils croient au cinéma, mais parce qu'ils s'ennuient, parce qu'ils n'ont rien d'autre à faire (Christian et Tara). Face à eux, ceux qui voudraient réussir à en faire leur métier parce qu'ils ont des convictions artistiques (Gina) n'ont pas les moyens de mener à bien leurs ambitions car ils ne détiennent pas le pouvoir décisionnel, tandis que ceux qui n'y voient qu'un promontoire à leur gloire propre sont dénués de tout talent et rattrapés par leur arrivisme (Ryan). 

Tara n'a de cesse de répéter qu'elle s'était engagée sur le film car elle en avait une envie soudaine, à un moment donné, mais que cette envie lui est passée, qu'elle a besoin d'autre chose. Christian lui, ne fait que donner de l'argent. Ce film n'est pas le sien. "Ses" films, sont ceux qu'il fait avec son téléphone portable lorsqu'il filme ses parties de jambes en l'air avec ses partenaires multiples. Le cinéma ne l'intéresse pas. C'est juste une affaire d'égo. Ryan lui, peine à tenir une séance photo et est prêt à bien des choses pour avoir se rôle (jusqu'à la compromission sexuelle), tandis que Gina, aussi enthousiaste soit-elle, est confinée dans le rôle d'une petite main dont le travail peut s'effondrer à n'importe quel moment. Voilà un bien triste portrait d'Hollywood, peu reluisant, empreint d'un certain désenchantement glacé et particulièrement distant, d'où s'échappent de lancinantes saillies sur la décomposition d'un système. 

A un autre niveau de lecture, The Canyons se lit évidemment comme la poursuite des travaux d'écriture de Bret Easton Ellis. Le personne de Christian est le prolongement d'un Patrick Bateman par la dualité qu'il propose : à la fois jeune fils à papa en apparence propre sur lui, mais dérangé par son incapacité à se défaire d'une tutelle paternelle qui lui inflige un sévère complexe d'égo. L'argent n'y peut rien, il ne sait qu'en faire comme il ne sait que faire de sa vie en général, ne trouvant d'intérêt que dans les rapports sexuels qu'il provoque grâce à son smartphone. James Deen est parfait dans ce rôle car il met merveilleusement en abîme sa carrière d'acteur porno : en effet, il est habitué à jouer les boys next door, ces gentils garçons qui débarquent avec les meilleures intentions chez leur voisine alors que celle-ci a une poussée hormonale dingue ; mais on le connaît (enfin, ceux qui regardent des pornos...) aussi un peu plus sauvage, pour ne pas dire carrément violent, lorsqu'il incarne le fantasme du rapist ou du beau gosse aux penchants BDSM (pour ceux que ça intéresse, voir ici).

Le langage archétypique mis en place par Schrader ainsi que la profondeur de la réflexion menée sur l'industrie hollywoodienne renvoient assez évidemment à deux oeuvres pas si éloignées dans le temps, d'autres réalisateurs du Nouvel Hollywood. Je pense au remake du Crime d'amour d'Alain Corneau orchestré par Brian De Palma, Passion, mais aussi au Twixt de Francis Ford Coppola. Deux réalisateurs phares, abandonnés de l'Hollywood du XXIe siècle, qui redonnent du corps à un cinéma abonné à l'impératif de rentabilité, dénué d'imagination, de fascination, de perversion. The Canyons s'inscrit dans cette lignée de films dont les illustres réalisateurs, à défaut d'avoir toujours les faveurs des porte-monnaies, ont toujours une vision à défendre et la légitimité de porter une critique, aussi désabusée soit-elle, sur une industrie qui les a vu naître. Qu'ils ont fait naître. 

lundi 24 février 2014

MONDKOPF - Hadès

Quand le maître des lieux a voulu que je fasse la chronique de cet album, j'ai tiqué. J'y connais rien en musique, c'était peut-être mieux que je me taise. Mais vu que j'allais aussi au concert (samedi 22), ça devenait de plus en plus difficile de refuser... Alors un peu d'indulgence, ma plume n'est pas aussi aiguisée que la sienne. 

L'enfer de Mondkopf est pavé de scuds violents et d'intenses orgies rythmiques. Le premier contact avec l'objet est déjà une agression : une pochette monochrome, une roche abrasive qui baigne dans un rouge sulfureux et éclatant. C'est sûr, on n'accèdera pas aux limbes de la techno sans se brûler un peu les ailes, sans laisser quelques tâches au fond de la culotte non plus... 

Animé d'une bestialité vindicative qu'on lui connaissait peu, l'Hadès de Paul Régimbeau hurle une noirceur toute nouvelle, crie une étrange mélancolie nihiliste. Le morceau qui ouvre l'album, sobrement intitulé Hadès 1 est à la fois un condensé de ce qui nous attend et une annonce mortuaire des plus inquiétantes : l'intro est particulièrement agressive jusqu'à l'arrivée de cuivres, hermès mortifères, ténébreux et fiévreux. Charon vous attend, au bord d'un Styx bien agité : la traversée ne se fera pas sans encombre, vous êtes prévenus. 

En fait, Régimbeau se fait plus Virgile que Charon. Une fois le pied posé de l'autre côté du cinquième cercle, il se met dans la peau du poète qui accompagna Dante aux enfers dans La Divine Comédie, lui faisant découvrir les mille et un recoins et les mille et une tortures de ce topos fantasmatique. Il revisite un imaginaire violent et tortueux, où la profondeur des beat n'a d'égale que la puissance des déflagrations qui jaillissent aux quatre coins de l'album. Si Eternal Dust n'est pas sans rappeler les rythmiques vénéneuses de Forest Swords, les morceaux Cause & Cure ou Immolate tirent carrément plus vers la techno pure, de l'Ancient Methods qu'on aurait trempé dans l'acide, du Vatican Shadow sous glucuronamide. Un rien pervers. 

Dans ce voyage lugubre et éreintant, Mondkopf déploie aussi quelques interjections fantomatiques. Le morceau Here Come The Whispers porte bien son nom : plus vaporeux, plus fuyant, il sonne comme une sourde lamentation crépusculaire, comme une lourde plainte désolée. Absences alterne lui entre une rythmique hyper hachée et la chaleur incommodante de grésillements terrifiants. Le morceau s'achève dans un véritable bain de sang, explosé de vibrations et de stances aussi violentes que grisantes. We Watch The End est tout aussi explicite : il y souffle un vent glaciale et spectral bien flippant, hantant comme rarement un dénouement d'album...

En attendant la chronique sur le concert de samedi, Hadès peut logiquement s'écouter en famille, à la maison, les soirs sales comme les matins cuités. Il mettra quelques gifles à votre petit frère qui s'extasie encore devant l'Aleph de Gesaffelstein. Ca peut pas lui faire de mal à ce merdeux.

jeudi 20 février 2014

YO LA TENGO - Super Kiwi

Un kiwi qui sauve un kiwi... c'est Super Kiwi, le meilleur titre de tous les temps avec la meilleure pochette de 7" possible, et c'est Yo La Tengo qui y a pensé en premier. Forcément. J'ai eu du mal a rentrer dans le dernier LP du groupe New Yorkais, lui reconnaissant tout le charme nécessaire et évident, mais il y a ce je ne sais quoi qui fait que j'ai un mal fou à apprécier. pourtant le précédent album était un enregistrement somptueux, et le fait que John McEntire produise celui-ci devrait me ravir. Session rattrapage avec ce Super Kiwi, composé de 2 titres. Sur la face A, un morceau tout en saturation baveuse et up tempo, on pense au son MBV en plus détendu, le batteur de Tortoise, encore une fois derrière la console, y déploie le son le plus aqueux dispo à son Soma de studio, pas loin du son hyper crade du morceau punk de Beacons Of Ancestoship. De l'autre côté, Yo La Tengo joue une réponse nettement plus calme, tout en corde claire et en clavier lumineux, où les voix s'apposent délicatement.

jeudi 13 février 2014

La Belle et la Bête de Christophe Gans

La Belle et la Bête version Christophe Gans est typiquement le genre de films que l'on adorerait pouvoir aimer. Des acteurs principaux que l'on sait capables d'être charismatiques, un budget conséquent, le savoir faire de Gans, grand imagier (souvenons nous avec nostalgie des ambiances glauques et mélancoliques de son Silent Hill), et un conte fédérateur qui a habité l'enfance de chacun d'entre nous, que ce soit littérairement ou cinématographiquement (Cocteau ou Disney). Pourtant, impossible de s'attacher à quoi que ce soit dans cette relecture tapageuse et trop léchée pour être intrigante, d'un conte aux potentialités sulfureuses et poétiques pourtant évidentes. La Belle et la Bête est un récit de passage, un peu comme peut l'être le Marie-Antoinette de Sofia Coppola ou, bien évidemment, Alice aux Pays des Merveilles. Une jeune fille, très proche de son père, est contrainte à un choix cornélien: voir son père partir et disparaître, la reléguant à son statut de fille cadette, à jamais femme-enfant amputée d'une figure paternelle qui la porte ; ou bien devenir femme, et se jeter dans la "gueule du loup". La Bête, figure fantasmatique d'une virilité non maîtrisable, effrayante et inconnue, ne redevient homme qu'au moment du renoncement de la jeune fille à son statut d'enfant : en acceptant l'amour qu'elle lui porte, elle devient femme et le visage de celui qu'elle aime, alors, reprend les traits d'un être humain.

Cocteau avait su en faire un poème oscillant entre les brouillards d'un surréalisme feutré, pour ne pas dire bourgeois, et les convulsions érotiques baroques. Gans a lissé ses personnages à l'extrême, ne leur offrant que peu de prise psychologique et bien trop peu de temps pour en développer l'ampleur. Sa Belle est trop guindée, et ses bribes d'effronterie sont noyées dans une gentillesse de "fille à papa" bien convenante. Toutefois, il n'a pas évacué toutes les tensions sexuelles qui font de ce conte un récit initiatique : Belle entreprend bien de rompre le cordon qui la lie amoureusement à son père et accepte au fur et à mesure son statut de femme : elle échange ses haillons de paysanne pour des robes lourdes et chargées (passage des vêtements d'enfant aux vêtements de femme), elle accepte la potentialité érotique de son corps lors d'une danse avec la Bête où se noue un premier contact physique. Surtout, elle s'attache à lui en découvrant le passé du prince : à travers de gigantesques miroirs (circulaires et même ouvertement en forme de vagin pour certains), elle apprend à connaître cette bête qui fut autrefois un homme, certes impétueux et prétentieux, mais surtout obsédé par son besoin de dominer une Nature qui lui échappe. Et ici, bien évidemment, la Nature renvoie à l'altérité féminine, incomprise, double et fuyante, qui prend tantôt les traits d'une biche dorée, tantôt ceux d'une nymphe aux formes humaines.

Les flashbacks de Gans sont un procédé bien trop simples et bien trop explicatifs, dénouant toute possibilité érotique dans la relation qu'entretiennent la Belle et la Bête. Il n'y a, en réalité, aucun face à face qui nous permette de mesurer l'étendue de ce qui les sépare et, réciproquement, l'étendue de ce qui les rapproche. En cela, le dessin animé de Disney procédait bien plus judicieusement en accordant une place plus conséquente à l'évolution sur moyen terme de la relation entre les deux personnages. Chez Gans, l'amour de la Belle est surgissant et incompréhensible. Rien ne permet d'en justifier la présence, si ce n'est la mécanique d'acceptation onirique dans laquelle la Belle se plonge chaque nuit en découvrant le passé de son hôte... La Bête elle, reste un personnage éternellement sous exploité et sous exposé : le procédé de flashbacks, toujours, en dissout toutes les aspérités, tous les mystères, toutes les rigidités d'esprit, tous les fantasmes. Notre prince n'a rien d'un bad boy : il est juste un peu trop obsédé par cette biche. On aurait souhaité que Gans insuffle un peu plus de noirceur et de trouble dans ce personnage qui ne brille à aucun moment, ni par sa présence, ni par sa fougue, ni par sa bestialité. La seule séquence que le réalisateur consacre à son animalité nous montre la Bête chassant un sanglier et le dévorant. Là encore, il insiste peu ; ce qui l'intéresse vraiment, c'est la réaction de vierge effarouchée de sa Belle. 

S'il n'a donc pas renoncé à exploiter les potentialités psychologiques du conte, Gans n'en a déjoué aucun piège, dénoué aucun noeud, résorbé aucun litige. Il a gommé, autant qu'il le pouvait, tout ce qui donnait de la chair, de la volupté, de l'ambiguité à ses personnages principaux. Et rien, autour d'eux, ne vient instiguer un quelconque malaise, un quelconque trouble. Les personnages secondaires sont, au sens propre comme au figuré, secondaires : leur traitement est bâclé, autant que le casting a pu l'être d'ailleurs. L'actrice Myriam Charleins, qui joue la diseuse de bonne aventure, est hors sujet du début à la fin. Quant aux frères et soeurs de Belle, leur direction d'acteur est navrante et confine les personnages dans des caricatures grossières de faire-valoir. Un peu comme un joueur de foot en manque de temps de jeu qui veut trop en faire lorsqu'on lui accorde quelques minutes et qui, à force de jouer en surrégime, dérègle toute la mécanique de l'équipe en place...

Un peu, aussi, à l'image de Gans et de sa mise en image pompière. Visiblement frustré de ne pouvoir mener tous les projets qu'il a en tête (de Rahan à Fantomas...), le réalisateur du Pacte des Loups a voulu sortir le grand jeu et livrer une fresque esthétiquement époustouflante, baroque, grandiose. C'est très certainement ce qui rapproche cette version de La Belle et la Bête de l'adaptation d'Alice par Tim Burton : noyé dans une débauche numérique, précieuse et envahissante, le récit est neutralisé par la technique, les enjeux scénaristiques dilués dans l'obligation de fournir un univers visuel que l'on serait obligé de trouver beau. Or cette débauche, si elle ne peut se réclamer de Sade par son manque cruel d'érotisme et de poésie macabre, a de toute évidence l'effet inverse : elle frustre, renfrogne, écoeure. 

dimanche 9 février 2014

Yves Saint-Laurent de Jalil Lespert

Je vais m'évertuer à faire court et simple, le biopic (nous devrions parler de long spot publicitaire) sur Yves Saint-Laurent se résumant (quasiment) en deux séquences qui ouvrent le film. 

Première séquence : intérieur cossu, pour ne pas dire chargé. Maman Saint-Laurent prend le thé avec ses vieilles copines. Ces dames sont sapées comme au milieu du XIXe siècle, coiffures improbables, robes chichiteuses et discussions de circonstance. Elles parlent de ce qui se passe à Alger, des manifestations et des heurts qui ont lieu dans la capitale algérienne. On se gargarise d'être tranquille à Oran, loin de l'agitation, tout en entretenant le petit frisson bourgeois que cette plèbe affamée ne vienne taper à la porte de la somptueuse demeure pour demander son du aux colons qui s'abreuvent tranquillement de leur thé arraché aux dos des noirs, des arabes et des indochinois qu'ils exploitent. 

Seconde séquence : Yves est à son bureau, dans la chambre de cette même maison où sa mère fait chauffer son goitre avec ses pine-co. Il travaille le petit, à dessiner des robes, comme toujours. Il n'y a que cela qui l'intéresse. Cela et le cul visiblement. Se levant de son fauteuil, le jeune homme (incarné par Pierre Niney) jette un coup d'oeil à la fenêtre et regarde, surplombant, un ouvrier arabe qui passe justement par ici. Cet ouvrier lui renvoie le regard. Yves sourit... Il va prendre cher, c'est sûr. 

Voilà par quoi Jalil Lespert a choisi d'ouvrir son film sur Yves Saint-Laurent et, par la-même, voilà ce qu'il a choisi de nous en dire. Enfermé, Saint-Laurent ne l'est pas seulement dans sa chambre, il l'est dans sa névrose : reclus dans son statut de fils à papa surprotégé de tout, il est, pire encore, perpétuellement hors du monde. Les événements d'Alger ? Il n'en a cure, il doit dessiner. La guerre d'Algérie ? Il sera interné en hôpital psychiatrique lorsqu'on lui demandera d'aller servir sur le front. Mai 68 ? Il le regarde à la télé marocaine, se poilant de savoir que sa boutique à Saint Germain est fermée à cause des manifestations... Un personnage qui n'aurait donc vécu que dans son égotisme maladif, jamais intéressé par son époque, ni par la prochaine d'ailleurs, juste par son travail...

Il faut dire qu'on l'a tellement gâté le petit fils de colons... Mère poule, papa riche affairiste, gouvernante et copines aux petits soins. L'Algérie lui a donné le goût de l'exotisme : ce plan surplombant où il mate l'ouvrier arabe qui passe, révélant cet homo colonialiste heureux de s'encanailler auprès des autochtones quand il s'agit de baiser, mais jamais pour le reste. Entre blancs dans la famille, entre blancs dans les quartiers chics de Paris. On ne côtoie la racaille étrangère que de façon nocturne, quand on veut voir le loup, aux bords de la Seine... La toute puissance de ce regard ; je ne m'en remets toujours pas. Un plan en plongé totale, Yves le jeune pédé blanc bourgeois qui matte et qui domine entièrement, l'ouvrier qui passe. Symbolique. Terrifiant. Jamais dans le film, Lespert n'interroge cette attitude, jamais il ne la renverse. Il l'alimente au contraire, en accumulant les moments d'entre-soi. Les séquences sur son balcon parisien ne sont qu'un leurre d'ouverture. On y est cloîtré, le monde, le vrai monde, celui des gens qui existent vraiment, pas seulement pour eux, est tellement loin. On ne le voit même pas : il est en bas. Et Lespert n'offre jamais la possibilité de le voir. 

Car Yves Saint-Laurent est un homme d'altitude : de sa chambre oranaise à son balcon parisien, il n'est à l'aise qu'au dessus des autres. Voyez comme le fait d'être comme tout le monde, au milieu de la populace, le désespère ! Il n'est confronté à la réalité que lorsqu'il est appelé à combattre en Algérie. Il panique, fait une dépression, fini sous terre, dans sa cellule psychiatrique. Par ce travail, Lespert essentialise sa position sociale : il y a des gens qui sont faits pour être au-dessus des autres, pour vivre sur la Lune et n'en jamais être délogés par des préoccupations séculières. Le "talent" vous y autorise. 

Basé sur le livre de Pierre Bergé, dont le personnage interprété par Guillaume Gallienne est parfois bien plus au centre des préoccupations du réalisateur que celui de Saint-Laurent, cette hagiographie impudique et terriblement pédante déroule son cadre publicitaire pour mieux servir la gloire d'un créateur qui fut certainement génial dans ce qu'il se donna pour mission de faire, mais dont la vie ne méritait certainement pas d'être portée à l'écran de la sorte... Cela amène une réflexion plus large sur les potentialités cinématographiques du matériau biographique. Lespert se trouve ici dans une position artistiquement intenable : au service de Bergé (qui l'a autorisé à dévoilé des moments particulièrement intimes et gênants de leur relation amoureuse...), de la marque Saint-Laurent, il n'est plus cinéaste mais pigiste de luxe pour un secteur de la mode qui n'en avait pas vraiment besoin. 

Mea Culpa de Fred Cavayé

Alors c'est lui, le nouveau nabab de l'actioner français ? C'est lui le prodige de la course poursuite et des bagarres de rue made in France ? La plaie... Si j'avais su qu'une réputation pouvait s'éteindre en si peu de plans... De Cavayé je n'avais strictement rien vu. Ni Pour elle, tant loué par la critique et remaké aux Etats-Unis par Paul Haggis (Les Trois prochains jours, avec Russel Crowe), le surestimé scénariste de trois Eastwood et deux James Bond, ni A bout portant, sorti en 2010, qui a coûté 10 millions d'euro sans arriver à rameuter en salle un dixième de son prix en équivalent spectateurs (ouais, c'est pas clair...). 

Cavayé propose certainement l'un des plus vilains torchons de ce début d'année : il tente d'explorer l'amitié de deux flics, Vincent Lindon, vu dans Pour elle (tiens, tiens...) et Gilles Lellouche, vu dans A bout portant (ah bah oui...), détruite par un accident de voiture qui a entraîné le divorce du personnage de Lindon, son licenciement de la police, sa déchéance totale, etc. Complètement paumé, il va retrouver sa paire de couilles lorsque son petit mouflet va être menacé par une pègre plus vilaine que vilaine, tout ça parce qu'il n'a pas été foutu de pisser droit et de ne pas traîner dans les corridors d'une arène de... corrida. 

Toute cette petite aventure rapidement musclée et hâtivement mise en valise n'est qu'un prétexte grotesque afin d'interroger une virilité masculine en pleine perte de sens : le personnage de Lindon est totalement émasculé par une faute qu'il croit avoir commise. Cavayé joue sur des effets de flash-back tronqués, à la lourdeur et à la laideur sans nom, pour suggérer une culpabilité terrible, celle d'avoir tué une femme et son chiard après avoir picolé (aparté : j'ai une théorie sur les couleurs. Lorsqu'on veut cacher la misère d'une séquence esthétiquement médiocre, on la noie dans une teinte qui en accroit la dimension irréaliste : un bleu profond, un vert gras, un jaune patate... Les flash-backs de l'accident sont bousillés par un bleu flou et triste, soulignant le côté sombre de ce souvenir tandis que ceux de Lindon et Lellouche à la plage (ouais...) le sont dans un jaune jovial et pétulant, pour mieux en souligner la nostalgie heureuse... Vous avez dit original ?). Il est incapable de tenir son rôle de père, son rôle de mari et même son rôle d'homme (ex : lui le flic intègre obsédé par la justice, reconverti en convoyeur de fonds, ne réussi pas à protéger un de ses collègues martyrisé par une brutasse). C'est l'effondrement du patriarche, menacé par la nouvelle petite tantouze qui convoite sa femme : un gringalet à la barbe de deux jours, qui ne se confronte jamais directement  à la violence (il prend juste un plaisir sadique à regarder les mises à mort de corrida), qui est tristement romantique (le bouquet de fleurs moches), lâche (il se planque derrière les voitures pendant la fusillade) et incapable d'afficher une quelconque autorité (il ne tient même pas la télécommande...). Cavayé pousse l'opposition sommaire jusque dans les traits physiques des personnages : au visage marqué, usé et buriné de Lindon répond le visage très lisse aux traits fins de l'acteur Cyril Lecomte... Bref, on le voit bien, c'est un concurrent fantoche : parce que quand notre gros mâle en mal de masculinité aura retrouvé sa paire de burnes dans les cendres de son amnésie accidentée, il n'aura même pas besoin de bomber le torse longtemps, sa femme, toute noyée dans son besoin de protection, répudiera le prétendant, sans la moindre contestation. 

Par delà cette réaffirmation de la figure du mâle dans toute sa splendeur (protectrice, juste, violente, virile), c'est le sondage de l'amitié entre hommes qui est le deuxième noeud de l'intrigue : Lellouche et Lindon sont deux potes fort en gueule, rongés par un accident de voiture qui cache un lourd secret. Et ce secret, Cavayé le jalonne avec des sabots tellement encrottés qu'on n'en peut plus de soupirer devant la vacuité immense qui épouse la forme de l'écran... Lorsque le gamin demande à Lellouche si il connaissait les gens que son père a tué, le flic répond que non et que son père n'a tué personne. Le gamin demande alors pourquoi il est allé en prison, ce à quoi Lellouche rétorque que parfois, même quand on est innocent, on va en taule... Voilà, voilà, ça vaut bien une heure trente de profonde marade à Marseille non ? 

Ah oui Marseille ! C'est si charmant l'opportunisme... Quoi de mieux que cette ville à la sulfureuse réputation pour aborder le crime organisé, le trafic de putes et de dope, mené par des serbes au crâne rasé, qui kiffent les merco et les entrechats au couteau ? Bah rien, tant qu'à faire dans le cliché, enfonçons nous-y gaiement ! Nos vilaines quiches mafieuses viennent de l'Est, bien évidemment, font toujours des grimaces et sont les seules fauteuses de trouble dans cette cité phocéenne qui a pourtant l'air si calme quand la police fait son travail... 

Cavayé est donc le petit prince de l'action à la française, avec tout ses glaviots poivrés et bien bruns, nourri aux vigilent de Branson et aux nanars 80's de Delon. Du cinéma des années 90 au mieux, jamais pertinent, toujours dans la caricature outrageante des sentiments humains et dans les oppositions factices, toujours à chercher une tangente manichéenne et vieux jeu, toujours à regarder le nombril des archaïsmes qui s'écroulent plutôt qu'à en chercher des échappatoires. 

jeudi 6 février 2014

EMPTYSET - Recur

Le duo de la quête de la fréquence et de la distortion remettent le couvert avec la petite soeur de Demiurge, après un Medium moins convaincant et un autre EP, plutôt bon, chez Raster Noton. C'est chez ces derniers d'ailleurs que le duo Purgas et Ginzburg décident de publier ce nouvel album. Ils ne feront pas tâche au milieu des autres artistes du label, comme d'ailleurs ils ne trahiront pas le son Emptyset. La production du groupe ne change pas. Les deux restent exactement dans les mêmes sphères, explorant toujours le son avec la même logique, avec la même méthode. Beats simplifiés à l'extrême, l'éloignement avec la dance music se creuse encore. De simples kicks et des idées de charley re-dessinées à l'oscillateur. Le reste est composé de bruits blancs, de réverbérations et échos manipulés comme instrument à part entière, de distortions comme guide absolu. Des sons courts rallongés via les traitements, des mesures martelantes s'interrompant pour laisser l'objet sonore vivre seul : le son et l'espace, les fréquences et leur dégradation, les résonnances et leur impact- voilà le projet. Un dub total et technique qui s'affranchit de toute forme pour n'explorer que le studio, en oubliant la musique. En soi, c'est une analogie déjà proposée, mais la démarche actuelle d'Emptyset me rappelle de plus en plus celle de SunnO))), tant la route est similaire. Dorénavant, le duo n'explore plus que des variations et déclinaisons de son produit, n'innovant que dans ses concepts et moins dans sa forme. L'exploration, la quête continue, mais de surprise il n'y a plus. Pour ceux qui ont totalement usé Demiurge, Recur est indispensable. Pour ceux qui l'auraient écouté comme n'importe quel autre album sans s'y plonger totalement, ils ne verront pas la différence.

jeudi 30 janvier 2014

MAN OR ASTRO-MAN ? - Defcon 5, 4, 3, 2, 1.

Quand Man Or Astro-Man ? a fait savoir qu'un album était en cours de réalisation, forcément, j'étais tout fou. Pour quiconque a déjà foutu les oreilles dans leur surf galactique ultra pété, l'expérience est souvent marquante. On twist facilement sur les rythmes de Eeviac ou d'Experiment Zero, ce n'est plus à prouver puisque démontré dans à peu près toutes les galaxies connues. Après une pause d'une dizaine d'années, probablement passée en quelques secondes selon leur propre espace-temps, Birdstuff, Starcrunch et Coco The Electronic Monkey Wizard ont enregistré de quoi faire tourner un 33 tours en entier (après quelques 7" dont nous avons déjà usé la surface) accompagnée d'une nouvelle recrue, féminine cette fois, et probablement calé dans le même cosmos que les trois autres. Mais à l'écoute de l'album lors de sa sortie, ce fut une petite déception - d'ailleurs, on a probablement bien fait de ne pas se jeter dessus pour le chroniquer, probablement qu'il aurait ramassé cher; mais finalement, prendre son temps est un peu devenu une règle d'or ici bas. Pas ou peu de surprises, pas de morceaux franchement fantastiques au delà de ceux déjà gravés sur les Analog Series. C'est finalement après de longs mois qu'on y revient, et cette fois, on adhère. MOAM? avait l'habitude à chaque album -jusqu'à EEVIAC- d'accélérer le rythme générale de ses albums. Ce Defcon ne joue pas à ce jeu, mais uniquement à celui qui consiste à remettre le couvert et à se fendre la gueule. Le délire de l'espace demeure bien en place, seuls les samples n'ont pas passé l'épreuve du temps, à l'inverse des voix qu'on a jamais autant entendus, et le groupe se focalise uniquement (ou presque) sur des sons qui sortent de ses instruments -comme si le sampler n'en était pas un. Guitares surf, basse cosmique, oscillateurs galactiques se ruent dans les enceintes, menés par le jeu toujours aussi impeccable du batteur, véritable meneur débrouillard du groupe. Sur New Cocoon, le ton se fait plus sévère, presque paranoïaque et guerrier. A quelques reprises, MOAM? s'aventure également plus du côté de l'électronique, sans pour autant dévier de sa trajectoire : les sons sont épais et font toujours référence à une SF datable au carbone 14. Les années 60-70 comme influence, Man Or Astro-Man? n'a pas fondamentalement changé. Et si une première écoute pouvait décevoir, putain on est content de les retrouver !